Le projet Blue Brain de l’EPFL: vers une reproduction du cerveau humain

En juin 2005, l'EPFL et IBM ont lancé un projet de recherche inédit: la reproduction et la simulation d'un microcircuit de neurones du cortex, la partie la plus grande et la plus complexe du cerveau. Avec l'arrivée d'un super ordinateur sur le campus lausannois, l'équipe du professeur Henry Markram a lancé la première étape du projet: construire une structure modélisée de circuits neuronaux fabriqués à partir de données biologiques.

Le projet Blue Brain a démarré en 2005 grâce à une collaboration entre le professeur Henry Markram de l'Institut Brain Mind de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et IBM. Son ambition est de reproduire et de simuler la colonne corticale, un microcircuit de neurones du cortex, la partie la plus importante et la plus complexe du cerveau. Le projet vient de franchir une étape importante et a achevé sa première phase en confirmant que la méthodologie d'ingénierie inverse (reverse engineering) appliquée aux circuits du cortex cérébral peut modéliser et simuler avec une grande précision l'activité du cerveau au niveau cellulaire.

Ce succès représente une avancée essentielle et une «preuve de principe» pour la recherche neuroscientifique basée sur des simulations. Il ouvre de nouvelles perspectives pour l'intégration, la compilation et le contrôle des données et des connaissances dans ce domaine. Ce premier modèle de colonne corticale construit au niveau cellulaire, entièrement à partir de données biologiques, sert maintenant d'outil pour la recherche basée sur la simulation en neurosciences. Construire un modèle du cerveau pourrait à l'avenir permettre de simuler des maladies psychiatriques ou de remplacer les expérimentations animales.

Reproduire 10'000 neurones et 30 millions de synapses

Reproduire, en silicone, les 10'000 neurones et les 30 millions de synapses de la colonne corticale du rat, tel était le premier défi de cet ambitieux projet. En décembre 2006, l'équipe du professeur Markram, qui comprend 35 scientifiques, est parvenue à construire une copie informatique détaillée et précise de la colonne corticale et à simuler et visualiser son activité électrique.

Le but de la première phase du projet était de construire un modèle du cortex somatosensoriel d'un rat âgé de deux semaines, correspondant aux dimensions d'une colonne corticale comme défini par les arborescences dendritiques de la couche 5 des neurones pyramidales. Ce but a été atteint en développant un procédé entièrement nouveau pour créer, valider et faire des recherches sur la colonne corticale.

L'ingénierie inverse effectuée sur une portion du cortex implique la saisie de plusieurs niveaux de .détails concernant les cellules et fibres microscopiques. Il s'agit de mesurer les propriétés de ces cellules et leurs interconnections, ce qui signifie que l'expérimentateur peut interférer et modifier leur fonction et leur comportement. Le procédé est délicat, car de nombreuses expériences sont requises, qui doivent être conçues avec précision et effectuées avec beaucoup de soin. Le rôle de la modélisation est d'examiner le design expérimental et d'évaluer les incohérences et pertinences potentielles des résultats en vue de l'élaboration et de l'affinage du modèle.

Construction d'un modèle basé sur la simulation

Un procédé de recherche basé sur la simulation exige que le contrôle de la cohérence s'effectue en continu. Dans ce contexte, la simulation est un outil essentiel pour intégrer les données expérimentales et définir de nouvelles expériences destinées à regrouper avec précision l'information nécessaire pour saisir l'ensemble des détails biologiques.

Les chercheurs de l'EPFL ont développé un procédé de recherche basé sur la simulation, pour générer un modèle au niveau cellulaire d'un néocortex somato-sensoriel d'un rat âgé de deux semaines, à partir de données expérimentales exhaustives. Ils ont placé les 10'000 neurones du modèle tridimensionnel dans le volume d'une colonne corticale de 550 pm de diamètre et de 1200 pm de hauteur et les ont disposés en six couches en fonction de leur propriétés morphologiques et électriques.

Les cellules comportent des canaux ioniques modélisés déterminés par les données d'expression génique, distribués le long de la surface de leur membrane, afin de reproduire la diversité des propriétés électriques observées expérimentalement dans les cellules pyramidales corticales et les synapses. La localisation des synapses situées entre les cellules est identifiée à l'aide d'un procédé de détection par touches, qui recherche les axones et les dendrites. Les synapses fonctionnelles sont placées selon les observations expérimentales de la probabilité des interactions synaptiques entre les différents types de cellules.

Après achèvement de la construction de la totalité du circuit, les scientifiques ont effectué de nombreux tests pour calibrer le réseau de circuits en fonction des données expérimentales. Ils ont réalisé des contrôles systématiques des canaux ioniques, du comportement électrique des neutrons, de la composition de la colonne, des modèles de connectivité et du comportement des voies monosynaptiques et polysynaptiques. Le modèle a ensuite subi une série de protocoles d'essais pour évaluer sa capacité à répliquer les phénomènes au niveau du réseau. Ces découvertes ont fait l'objet de publications scientifiques et seront présentées au Forum européen des neurosciences en juillet 2008.

Les outils de la structure modélisée

Pour développer une nouvelle structure pour la génération de reconstructions à large échelle de circuits neuronaux, l'équipe du professeur Markram a utilisé les données biologiques détaillées d'études génétiques, des expériences électrophysiologiques ainsi que des reconstructions neuro-anatomiques.

Des outils spécifiques ont été développées pour créer la structure modélisée. Il s'agit de bases de données pour saisir les valeurs expérimentales du laboratoire, d'outils pour traiter automatiquement la morphologie des neurones à partir de reconstructions en trois dimensions, d'outils pour modéliser des neurones à partir de l'expression génique, ainsi que de données électrophysiologiques et d'outils pour reconstruire automatiquement des tissus en trois dimensions.


La simulation et le calibrage

Chaque itération du modèle a été simulée sur le super ordinateur Blue Gene/L. Le procédé de calibrage est utilisé pour tester et affiner la précision biologique du modèle à chaque niveau de détail, comprenant l'expression génique, les canaux ioniques, les propriétés d'intégration dendritique, les synapses, la morphologie des neurones, la composition cellulaire, les voies de connexion et les propriétés des sous-circuits. La chaîne de calibrage permet ainsi d'évaluer tous les niveaux du modèle concernant la cohérence biologique et de commander la demande de nouvelles données expérimentales et d'amélioration du modèle.

La fiabilité biologique atteinte a permis au modèle de servir d'outil primaire pour évaluer la cohérence des données neurobiologiques en fournissant une orientation pour les efforts expérimentaux à venir et pour affiner le modèle.

Le super ordinateur Blue Gene

Le super ordinateur Blue Gene/L d'IBM utilisé pour le projet Blue Brain est le plus puissant existant en Suisse. Cette machine comportant 8192 processeurs est capable de réaliser 18,7 teraflops (1 teraflop = 1012 opérations par seconde). Le numéro un mondial, selon la liste officielle TOP500, est un modèle de la même marque, installé au Lawrence Livermore National Laboratory, en Californie. Sa puissance atteint 478 teraflops.

Vue partielle de la salle des machines du DIT (Domaine IT de l’EPFL) avec, à l'arrière-plan, le super ordinateur Blue Gene. La salle de 325 m2 dégage 300 kW de chaleur qui est éliminée par l'eau du lac.


LEXIQUE

Le cortex cérébral

Le cortex cérébral est la couche externe des deux hémisphères du cerveau des vertébrés. Il est constitué de substance grise comportant deux principaux types de cellules réparties en couches superposées: les neurones, ou cellules nerveuses, au nombre de 100 milliards, et les cellules gliales, de 10 à 50 fois plus nombreuses.

Le cortex cérébral est le lieu du traitement fondamental de l'information; il est le siège de fonctions élaborées comme le langage ou la mémoire; il intervient dans certaines fonctions élémentaires comme la motricité ou la sensibilité.

Le cortex somatosensoriel est localisé dans le lobe pariétal; il représente le niveau d'intégration le plus achevé des informations sensorielles.

La colonne corticale

La colonne corticale est un groupe de neurones représentant l'unité fonctionnelle de base du cortex cérébral. Ces unités se répètent des millions de fois à travers le cortex, leur structure de base étant la même chez la plupart des mammifères.

Axones et dendrites

Les neurones sont composés d'un noyau et de deux types d'excroissances, les axones et les dendrites. La transmission de l'information se propage dans le sens dendrite–noyau-axone, ce qui fait que les dendrites sont nombreuses (on parle d'arborescence dendritique) et les axones souvent uniques, afin que la cellule joue son rôle de rassembleur et de transmetteur de l'information.

Neurones pyramidales

Ce sont des neurones ayant une morphologie pyramidale. Elles possèdent un arbre dendritique très développé et jouent un rôle essentiel dans l'intégration de signaux convergents.

La Revue Polytechnique 1721 - Michel Giannoni - 01.2008