Quinze ans d'enquête sur l'innovation: un bilan intermédiaire


Sur mandat du Secrétariat d'État à l'économie (seco), l'institut de recherches conjoncturelles (KOF) de l'EPF Zurich a mené en 2002 sa cinquième enquête sur l'innovation dans l'économie suisse. Il en résulte que ta Suisse demeure toujours l'une des nations les plus innovatrices en comparaison internationale, mais qu'elle a cédé du terrain ces dernières années. Il n'y a toutefois pas encore lieu de parler de déficit dans l'innovation. En compagnie de la Finlande, de la Suède et de l'Allemagne, la Suisse demeure en tête du classement pour tous tes indicateurs ou presque. Le présent article brosse un tableau rétrospectif de 15 ans d'enquêtes; celui qui suit détaille les résultats de la plus récente.


15 ans d'enquête sur l'innovation: les principaux enseignements

Les données dont nous disposons aujourd'hui sur le comportement de l'économie suisse en matière d'innovation couvrent une période de quinze ans. Quels enseignements a-t-on pu en retirer? - La place économique suisse innove Largement. Toutes les catégories d'entreprises de l'économie privée (des PME aux grandes sociétés) sont actives sur le front de l'innovation. - En comparaison internationale, la Suisse était nettement en tête dans les premières enquêtes. Elle a depuis cédé progressivement du terrain. Elle demeure néanmoins dans le peloton de tête, avec la Finlande, La Suède et L'Allemagne. - On entend souvent dire que le transfert de savoir entre les hautes écoles et l'économie ne fonctionne pas bien en Suisse: Les données empiriques ne permettent pas de te confirmer. La Suisse est même première de classe en matière de coopération. - Le classement par branches a peu évolué au fil des ans. Le palmarès est le suivant dans le secteur industriel: (1) électrique/ instruments, construction de véhicules, (2) électrotechnique, montres, construction de machines, (3) chimie/pharmacie, produits synthétiques; et dans Le secteur des services: (1)informatique/institutions de R&D, (2) prestations de services pour les entreprises, (3)transports/télécommunications.

L'enquête présente aussi une certaine constance pour ce qui est des obstacles à L'innovation, qui peuvent se classer en quatre catégories essentielles: coûts et risques, financement, manque de personnel spécialisé, réglementations étatiques (prescriptions régissant L'utilisation des terrains et la construction, législation environnementale).


L'innovation n'est pas tout

Les données de l'enquête ne permettent pas en soi d'inférer des mesures de politique économique, notamment celles qui visent à encourager directement (innovation ou à intensifier la politique de l'État en faveur des technologies. Lorsqu'il s'agira d'évaluer les implications politiques, il conviendra de garder à l'esprit que l'accroissement des performances en matière d'innovation est une condition nécessaire mais pas suffisante de la croissance. De plus, il est évident que la conjoncture morose de ces dernières années, placée pour la Suisse sous le signe d'une croissance poussive, appelle à des mesures appropriées: poursuite de (ouverture du marché et de la libéralisation, affranchissement de ressources actuellement bridées dans les branches protégées, allégement administratif, mais aussi stabilisation des finances publiques et limitation de 1a quote-part de l'État. Si nous ne réussissons pas dans ces domaines et quelques autres encore, la prochaine enquête sur (innovation pourrait bien révéler une nouvelle érosion de la position helvétique.


La position de la Suisse face à la concurrence internationale en matière d'innovation

Depuis 1990, le Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l'EPF Zurich mène régulièrement des enquêtes sur l'innovation, qui exposent la capacité de la Suisse en la matière et rendent possibles une comparaison internationale. On peut en déduire ce qui suit: entre 1991/93 et 997/99, des efforts d'innovation ont fortement diminué dans l'industrie. Depuis lors, il semble que les performances se soient plus ou moins stabilisées à un faible niveau. La position internationale de la Suisse s'est également détériorée dans ce domaine, même si elle occupe encore ta première place.


Les obstacles à l'innovation

Importance des divers types d'obstacles, en 2000/02. Dans la période 2000/02, on observait-par ordre d'importance décroissant-quatre catégories principales d'obstacles (voir tableau 1): les coûts et risques, les difficultés de financement, le manque de personnel qualifié, les réglementations officielles (prescriptions en matière de planification et de construction et, en partie, normes environnementales). Toutefois, la plupart des réglementations officielles - accès limité au marché de l'UE, réglementations du marché du travail restrictives pour les étrangers, réglementation des marchés de produits dans le pays - ne semblent pas entraver à l'excès les activités d'innovation. Seul un petit nombre d'entreprises ont mentionné parmi les obstacles à l'innovation l'insuffisance des incitations ou des problèmes d'information, d'organisation et d'acceptation. Un dépouillement des résultats par tailles d'entreprises et par branches ne fournit pratiquement aucune indication sur des obstacles supplémentaires; seule exception: les difficultés financières particulièrement aiguës que connaissent un certain nombre de petites entreprises.


L'évolution depuis 1990

Il ressort du tableau I que les obstacles à l'innovation ont d'une manière générale perdu de leur acuité au cours des années nonante. La détente a été particulièrement sensible entre les périodes 1994/96 et 1997/99. L'obstacle "coûts et risques" s'est manifestement atténué. Celui lié au manque de personnel qualifié a diminué au début des années nonante, puis une nouvelle fois entre 1994/96 et 1997/99, pour ensuite se stabiliser à un niveau "moyen". Pour ce type d'entrave, il semble qu'un certain répit, bien qu'insuffisant, se soit installé sur la durée. Les réglementations officielles ont connu une amélioration progressive, bien que ces derniers temps, on n'ait plus observé de progrès supplémentaires à cet égard que dans des cas isolés; comme on l'a mentionné plus haut, ce sont surtout les prescriptions restrictives qui touchent à la planification et à la construction qui posent problème aujourd'hui. Jusqu'au milieu des années nonante, le facteur "difficultés de financement" a pesé de plus en plus sur les activités d'innovation; toutefois, même pendant la reprise conjoncturelle de 1997/2000 et au cours des années suivantes, aucune amélioration n'est survenue.


Conclusions à l'adresse du monde politique

À partir de cette analyse, voici quelques observations et suggestions que l'on peut faire en vue d'améliorer la capacité d'innovation des entreprises suisses:

  • malgré les mesures déjà prises ces dernières années (maturité professionnelle, hautes écoles spécialisées) et l'augmentation prévue dans les années à venir des ressources consacrées à la formation et à la recherche au niveau fédéral, le renforcement de la base même des ressources humaines demeure une tâche prioritaire. À cet égard, les éléments qui importent le plus sont: la garantie de la qualité de la formation, une meilleure utilisation de l'offre de diplômés de hautes écoles étrangères, l'intensification de la formation professionnelle continue, et enfin élément très important - une progression des investissements au niveau scolaire;
  • malgré le fait que les réglementations officielles soient un obstacle à l'innovation plus léger à franchir, il faut continuer de réduire le nombre d'entraves existantes, surtout si on se réfère au climat d'investissement bien plus favorable que l'on peut trouver dans d'autres pays très novateurs, notamment la Finlande. De plus, les prescriptions et procédures administratives doivent demeurer aussi simples que possible;
  • ouvrir des marchés jusqu'ici protégés permettrait de libérer des ressources qui pourraient servir à financer des "investissements d'avenir";
  • une accumulation générale de ressources destinées à stimuler la technologie et l'innovation ne s'impose pas. Il serait bien préférable d'axer les efforts de promotion de l'innovation davantage qu'à présent sur les PME (c'est le cas, par exemple, des programmes de recherche de l'UE); car ce sont surtout ces entreprises que les restrictions financières de type structurel gênent dans leurs activités d'innovation;
  • certes, la thèse selon laquelle le transfert de connaissances entre les hautes écoles et l'économie ne fonctionne pas de manière satisfaisante ne se vérifie pas - du moins en comparaison avec les pays de l'UE; il semble, toutefois, judicieux de consacrer une attention toute particulière à ces transferts au titre de l'encouragement de l'innovation; une politique monétaire et financière axée sur la stabilité permettrait d'éviter- contrairement à ce qui a été observé dans les années nonante -les fâcheuses conséquences qu'entraînent les fluctuations de l'activité économique à court terme sur les efforts d'innovation, et donc sur la pente de la croissance.

La Vie économique - Revue politique - 05/2004