Deux associés commercialisent une canne d'aveugle d'une conception tout à fait nouvelle.

Un aveugle ne se sentait pas à l'aise avec les cannes blanches. Il s'est associé avec un ami pour commercialiser une canne de son invention.

Ce n'est pas parce qu'ils ont fondé la première entreprise jurassienne sélectionnée par Genilem que Jérôme Corbat et Denis Stéhly se sentent obligés de porter la cravate ou de jouer les jeunes loups. Les deux associés toute leur jovialité et restent rarement plus de cinq minutes sans plaisanter. C'est peut-être ce côté non conformiste qui les a poussés à lancer une canne d'aveugle tout à fait différente de celles que l'on trouve sur le marché.

Les cannes blanches les plus répandues sont les cannes à boule. On les tient en principe au milieu du corps, devant soi, coude, poignet et doigts pliés, à hauteur du plexus. L'extrémité se termine par une petite boule qui roule sur le sol. On balaie devant soi d'un côté à l'autre, pour détecter les obstacles.

Jérôme Corbat, lui-même aveugle, ne s'y est jamais fait. Il trouve ces cannes trop lourdes, pas suffisamment sensibles. Il n'aime pas devoir tenir la main à hauteur de plexus et risquer de prendre la canne dans abdomen en arrivant trop rapidement contre un obstacle. Voilà donc plusieurs années qu'il fabrique ses propres carmes.

En 2002, il a décidé d'en faire une activité professionnelle et a créé la société Eurekansystem avec son ami Denis Stéhly.

La société fabrique et commercialise une canne d'un maniement tout à fait différent des cannes à boule. Elle se manie d'une main détendue, le bras pendant le long du corps, dans une position décontractée main tient l'une des extrémités comme une seringue et l'autre extrémité se termine par une roulette, ce qui permet de très bien sentir les aspérités du sol. "Elle permet une marche très dynamique", remarque un instructeur de locomotion.

Les aficionados, dont quelques témoignages se trouvent sur Internet, la jugent très positivement. "J'utilise cette canne depuis bientôt une année", écrit l'un d'eux. "Aujourd'hui, j'ai du mal à m'en passer. Lorsque, pour une raison ou une autre, je reprends une canne traditionnelle, il me semble que cette dernière a plein de défauts".

Le produit, cependant, ne s'est pas (encore?) imposé. La commercialisation a pris du retard. Si l'assurance invalidité a accepté de rembourser la canne dès fevrier 2003, l'Union centrale pour le bien des aveugles (UCBA) ne l'a accréditée qu'en novembre. En attendant, la société a dû se rabattre sur la vente directe auprès des aveugles dont elle a pu se procurer les adresses ici ou là, et démarcher directement les centres de réadaptation.

De plus, malgré l'enthousiasme des aficionados, la canne n'a pas conquis tout le monde. Son maniement très différent demande un apprentissage et peut déplaire aux utilisateurs habitués aux cannes traditionnelles. Les associés, pour leur part, attribuent les réticences moins aux utilisateurs qu'à certains instructeurs de locomotion, attachés à la canne à boule. Résultat: alors qu'ils prévoyaient d'écouler 1'000 cannes en 2003, ils n'en ont vendu qu'une centaine.

Mais Denis Stéhly et Jérôme Corbat restent confiants. L'accréditation de l'UCBA leur ouvre de plus larges perspectives en Suisse. Ils ont pris contact avec l'organisme faîtier français, qui s'est dit prêt à distribuer la canne. Des contacts ont également été pris en Allemagne et en Espagne. Mais Eurekansystem compte surtout sur le bouche à oreille. "La canne se défend toute seule", affirme Denis Stéhly. "Notre défi est d'avoir les reins assez solides pour tenir assez longtemps".

En attendant, Eurekansystem a d'autres idées en tête. Un système de guidage radio conçu à l'EPFL pourrait être ajouté à la canne pour qu'elle se maintienne toute seule à distance des obstacles. Et les associés réfléchissent à améliorer d'autres moyens accessoires pour aveugles. Ils pensent notamment aux machines à écrire et aux systèmes de transcription en braille, ainsi qu'aux montres parlantes.

Pierre Cormon, Entreprise romande, 02.04.2004