Source d'énergie abondante et non polluante, la petite molécule fait figure de Graal des temps modernes. Reste que l'on est encore loin du rêve à la réalité.

L' hydrogène, obscur objet du désir

C'est tout simplement le rêve. Une source d'énergie inépuisable. Propre, puisqu'elle n'émet pas le moindre gramme de gaz carbonique dans l'atmosphère. Capable de surcroît de faire tourner les moteurs des voitures et des bus, comme de chauffer les maisons et les bâtiments. Mieux encore, cet idéal existe - du moins en théorie - et il a un nom: l'hydrogène.

Cette molécule toute simple fait figure de véritable Graal des temps modernes. Et tousse lancent à sa quête, Etats-Unis entête. Au début de l'année, le président Bush a débloqué plus de 85 millions de dollars pour inciter ses concitoyens à partir à sa recherche. Dans «L'économie hydrogène», qui vient de paraître en français (éd. La Découverte), le turbulent économiste américain jeremy Rifkin part lui aussi en croisade; et annonce sans ambages que «l'hydrogène est notre avenir». L'Europe emboîte le pas, et la Suisse se mobilise. Sous l'impulsion de l'Office fédéral de l'énergie, une association, Hydropôle, a été créée pour rassembler tous les acteurs concernés. Signe des temps, la Fédération romande pour l'énergie a d'ailleurs choisi de clore son assemblée générale du 20 novembre dernier, en invitant «un des meilleurs spécialistes suisses en matière d'hydrogène», Samuel Stucki, de l'Institut Paul Scherrer (PSI) à Villigen.

Alors, au feu le pétrole? Radiée, l'énergie nucléaire? A la casse, les bonnes vieilles voitures à essence? Pas si vite. Car si l'hydrogène est riche de promesses, la réalité est plus têtue.

Certes, l'hydrogène est l'élément le plus universellement répandu dans la nature; on le trouve partout, y compris dans l'eau. Seulement, il y est prisonnier. Il faut donc commencer par l'isoler. On peut l'extraire de la matière organique en le séparant du carbone (par un procédé dit du reformage, qui est peu rentable et dégage du CO2). On peut aussi «casser» les molécules d'eau pour le séparer de l'oxygène, par électrolyse. Cette dernière technique, plus que centenaire, a fait ses preuves - l'industrie valaisanne de l'aluminium en sait quelque chose-mais elle nécessite un apport... d'électricité. On pourrait aussi fabriquer l'hydrogène à partir de l'énergie solaire, mais aujourd'hui, «cela revient plus cher que de produire de l'électricité», note Samuel Stucki, responsable du laboratoire Energie et cycles des matériaux au PSI.

Recherche automobile

Une fois produit ce carburant «idéal» -mais quand même difficile à manier car inflammable-il faut le stockez Ce qui n'est pas une mince affaire car les cylindres à haute pression qui sont actuellement la meilleure solution pour entreposer le gaz sont chers et encombrants.

Reste ensuite à utiliser le carburant pour produire de l'énergie, par l'intermédiaire d'une pile à combustible. Son principe? C'est celui de l'électrolyse de l'eau, mais inversé. Au lieu de briser la molécule d'eau, on rassemble au contraire ses deux composants (oxygène et hydrogène), ce qui entraîne un dégagement d'énergie sous forme d'électricité. La technique est éprouvée, et elle sert notamment à produire de l'électricité à bord des navettes spatiales. Mais de là à en faire un usage courant dans les véhicules à quatre roues, il y a un grand pas. Les principaux constructeurs automobiles y croient cependant. Aux Etats-Unis, les patrons des «Big Three», Daimler-Chrysler, Ford et General Motors, ont lancé un programme de recherche commun autour d'un concept baptisé «FreedomCAR». En Europe, les constructeurs allemands sont en pointe en la matière. Volkswagen notamment a conçu, avec la collaboration de l'Institut Paul Scherrer, un prototype qui a été testé au début de l'année au col du Simplon. Cela marche bien, constate Samuel Stucki, «on a démontré que l'on pouvait faire rouler une voiture avec une pile à combustible». Mais, ajoute-t-il aussitôt, «une voiture de ce type, personne ne voudra la payer». Le véhicule est performant, mais ce n'est qu'un prototype et les ingénieurs ont maintenant le «devoir suprême de baisser les coûts de tous les composants du système».

Même à supposer que l'on veuille à tout prix s'offrir un tel engin, resterait, pour l'ingénieur, une question non anodine: « Où trouver l'hydrogène pour rouler?» A la stationservice? Ou à bord même du véhicule, où l'hydrogène pourrait être fabriqué par reformage? Cela reste à étudier.

Aucune de ces difficultés n'est, a priori, insurmontable. « je considère que c'estavant tout une question de volonté politique, estime Bernard Mudry. Le jour où l'on n'aura plus assez de pétrole et où l'on sera poussé par des nécessités économiques et écologiques, l'hydrogène passera.»

Après internet, l'«Hydronet» Le pétrole, et ses ressources qui s'épuisent plus vite qu'on ne le croit, c'est aussi le principal argument qu'avance jeremy Rifkin, président de la Foundation on economic trends à Washington, pour justifier son engouement pour l'hydrogène. «Si elle parvenait à l'exploiter, l'humanité aurait cet "élixir" que les alchimistes, comme les chimistes, n'ont jamais pu découvrir», écrit-il dans son dernier livre. Mais pour cet économiste iconoclaste, l'enjeu dépasse largement le domaine de l'énergie. L'économie hydrogène qu'il appelle de ses voeux «ne manquera pas de transformer nos modes de pensée, et notamment la façon dont nous envisageons notre existence sociale». Il imagine, sur le modèle d'internet, l'avènement de l'«Hydronet».

Grâce à des microcentrales équipées de piles à combustible et reliées en réseaux, les usagers pourront non seulement produire leur électricité, mais la «mettre en commun et la partager». Mieux encore, grâce à l'hydrogène, «les nations du tiers-monde cesseront de dépendre des importations de pétrole». La mondialisation, sous la plume de jeremy Rifkin, prend un genre nouveau. «Si tous les habitants de la planète devenaient producteurs de leur propre énergie, c'est finalement toute la structure du pouvoir qui serait bouleversée: au lieu de se diffuser depuis les sommets d'une hiérarchie verticale, il émanerait du bas pour remonter. » Quand on vous dit révolution... Dérangeant, l'auteur ne se hasarde cependant pas à prédire quand cette «société de l'hydrogène» deviendra réalité.

Longue est la route...

Plus terre à terre, les constructeurs automobiles sont aussi moins prudents dans leurs prédictions. Ils ne cessent de nous annoncer comme éminente l'arrivée sur les routes de véhicules à hydrogène, puis de repousser l'échéance. «Daimler l'avait prévue pour 2005. Maintenant, on parle de 2015-2020», souligne Samuel Stucki. «Ce sera plutôt à l'horizon 2050», renchérit Jean Jacques Chanaron, directeur de recherche au CNRS. La principale difficulté pour les voitures électriques sera de «se substituer à une technologie dominante qui, entre-temps, aura elle aussi fait des progrès». Dans le mensuel «La Recherche» d'octobre dernier, Jean-Jacques Chanaron parlait même de «lobbying bien organisé en faveur de l'hydrogène». C'était un «propos d'humeur», a expliqué à L'Hebdo l'économiste français, qui ne cache toutefois pas son «énervement» devant «un objet de recherche que l'on présente comme si tout était déjà fait».

C'est bien là que le bât blesse. Qu'un jeremy Rifkin nous décoiffe avec son avenir énergétique qui chante, on ne peut que s'en réjouir. Qu'il y ait en Suisse et ailleurs «des instituts fous - comme Samuel Stucki qualifie avec humour son propre centre-qui essayent d'éIaborer les éléments de la technologie de l'avenir», on ne peut qu'applaudir. Mais en gardant à l'esprit que la «société de l'hydrogène» n'est pour l'instant qu'un rêve.

Elisabeth Gordon - L'Hebdo 28.11.2002 


D'où vient l'hydrogène?

L'hydrogène (du grec: hydro, eau, et de gene, créer), littéralement le gaz qui produit l'eau, est par définition le meilleur carburant pour alimenter la pile à combustible. Or l'origine de l'hydrogène est, à ce jour, l'un des principaux handicaps de la technologie des piles à combustible. Cet élément ne se trouve en effet jamais seul dans la nature, mais systématiquement associé à d'autres, oxygène ou carbone. Il faut donc l'extraire, en cassant les liaisons chimiques. Certes, on sait le dériver du pétrole ou du gaz naturel. Or il s'agit là d'hydrocarbures dont les ressources ne sont pas éternelles et dont le traitement induit d'importants coûts économiques, et parfois même des rejets de CO2.

Il existe trois autres filières pour fabriquer de l'hydrogène: la transformation thermochimique de matières organiques (ou biomasse), l'électrolyse de l'eau ou le craquage. Toutes trois se heurtent à des de vraies difficultés: surfaces insuffisantes pour que la production de biomasse puisse subvenir aux besoins en carburant des parcs automobiles des pays industrialisés. Si l'électrolyse de l'eau fait figure de solution miracle (simplicité de la mise en oeuvre, procédé non polluant), son rendement énergétique est si désastreux qu'elle est presque condamnée économiquement. Quant au craquage catalytique - procédé qui consiste à casser les liaisons moléculaires de l'eau en la chauffant à 700°C en présence d'un catalyseur, il n'est encore qu'une hypothèse de recherche, liée au nouveau type de réacteur nucléaire, le Very High Température Reactor (VHTR). Reste là à accepter les contraintes du nucléaire.

Si de nouvelles voies sont également explorées comme l'étude de la photosynthèse de certaines algues vertes pour produire de l'hydrogène, elles demeurent aujourd'hui encore à un stade expérimental.

Une pile qui ne s'use pas même quand on s'en sert...

Les piles à combustibles sont comparables à des batteries classiques dans la mesure où elles produisent de l'électricité directement à partir d'une réaction chimique. Les moteurs à combustion interne, eux, brûlent du combustible et, par conséquent, produisent de la chaleur qui est alors convertie en énergie mécanique.

Bien que les batteries classiques tout comme les piles à combustible produisent de l'électricité électrochimiquement, elles répondent à deux fonctions fort différentes. Une pile classique est un appareil servant à stocker de l'énergie: l'électricité qu'elle produit est le résultat d'une réaction chimique de matières qui sont déjà stockées à l'intérieur de celle-ci. Une pile à combustible ne stocke pas d'énergie, mais elle convertit en électricité une partie de l'énergie d'un combustible fourni de l'extérieur. A cet égard, la pile à combustible n'a pas besoin d'être rechargée et s'apparente ainsi davantage à une centrale électrique conventionnelle.

Il existe actuellement six grands types de piles à combustible: polymère (PEMFC), méthanol (DMFC), oxydes solides (SOFC), alcaline (AFC), acide phosphorique (PAFC) et carbonates fondus (MCFC). Elles se différencient selon la nature de leur électrolyte (l'élément chargé de véhiculer les noyaux d'hydrogène protons - d'un pôle à l'autre de la pile). Cet électrolyte définit la température de fonctionnement de la pile et, de fait, ses domaines d'application (spatial, téléphonie mobile, informatique, transports, chauffage, etc.). Par ailleurs, chaque pile a des exigences différentes en termes de combustible. Celle qui semble s'imposer pour la propulsion est la pile à membrane échangeuse de protons (Polymer Exchange Membrane Fuel Cell, PEMFC). Elle seule satisfait aux critères de rapidité et de niveau de température (80°C) de l'industrie automobile.

Son principe de fonctionnement est simple: une cellule élémentaire est constituée de deux électrodes (anode et cathode) séparées par un électrolyte (une membrane en polymère, le nafion). De chaque côté des électrodes se trouvent des plaques bipolaires chargées de collecter le courant et nécessaires à la mise en série des piles. La pile est alimentée en hydrogène et en oxygène.

A l'anode, l'hydrogène H2 réagit en se séparant en deux protons H+ et deux électrons. Les électrodes sont entourées d'un catalyseur, généralement constitué de platine ou d'un autre métal précieux qui facilite cette réaction chimique. La clé de la pile à combustible tient à ce que l'électrolyte laisse passer les protons (en direction de la cathode), mais arrête les électrons qui passent à travers le circuit électrique. Ils se recombinent à la cathode grâce à un nouveau catalyseur qui fait réagir les protons et les électrons avec l'oxygène O2 fourni, pour former de l'eau H2O et de la chaleur.

Amaya Chui, Market Magazine, mars 2003


Le moteur à explosion en fin de course?

L'airbag, c'est bien. La navigation par satellite, c'est utile. Mais l'essentiel du progrès automobile va se faire sous le capot. Entre le bon vieux moteur à explosion et les nouvelles technologies, une course stimulante est engagée en termes d'innovation industrielle.

Tous les motoristes ont l'oeil rivé sur les fameuses normes de l'Union Européenne. Entre 2000 et 2008, il faut encore réduire les émissions d'oxyde de carbone de 30 % et diviser par 2,5 l'oxyde d'azote, sans oublier six fois moins de particules à émettre au bout du tuyau d'échappement. La plupart des grands constructeurs automobiles travaillent bien en amont, sur l'injection. L'idée est de trouver un système pouvant s'appliquer aussi bien au diesel qu'à l'essence. Le principe général est de disperser le carburant de façon progressive et variable en fonction du régime et des sollicitations du moteur, afin d'améliorer encore la combustion du mélange air-carburant.

Peugeot perfectionne son filtre à brûler les particules pour le diesel. Dans les laboratoires de Renault, on parle aussi de "gestion sélective des soupapes". L'arbre à cames est supprimé, chaque soupape dépendant d'un électro-aimant particulier: moins de frottement, donc moins de consommation et moins de pollution. En Europe comme aux Etats-Unis, les ingénieurs se penchent sur le circuit électrique. L'idéal serait de fusionner l'alternateur et le démarreur. Le nouvel appareil aurait pour mission d'alimenter le véhicule en électricité et d'assister le moteur thermique. D'où économie de carburant et une voie ouverte vers les véhicules dits hybrides. Toyota commercialise un tel modèle depuis trois ans.

Hydrogène à l'horizon

Faut-il rêver à l'hydrogène-carburant? Ce gaz doit d'abord être fabriqué, soit par électrolyse de l'eau ou par reformage à partir d'une matière première telle que le gaz naturel, voire l'essence. Daimler-Chrysler a opté pour le méthanol embarqué à bord de ses prototypes. En cas de développement à grande échelle, ces moteurs à pile à

combustible exigent en fait toute une infrastructure, soit pour mettre l'hydrogène à disposition, soit pour assurer l'approvisionnement en produits de reformage. L'Allemagne est en pointe dans cette réflexion, avec son projet national "Transportation Energy Safety", associant le ministère des transports, BMW, Shell, Volkswagen, Aral et Man. De plus, il faudrait unifier le nouveau carburant au niveau européen (une directive

européenne est en préparation pour 2004) et maintenir durant des années les pompes à essence ordinaire, le temps du renouvellement du parc auto.

Pour une autonomie de 500 km, la masse d'hydrogène est d'environ 5 kilos, selon les études actuelles. Mais elle a besoin d'une température très basse (-253 degrés) et

l'énergie nécessaire à la liquéfaction du gaz représente 40 % de l'énergie contenue dans le gaz. Si l'on renonce au réservoir à haute pression, il est possible de stocker l'hydrogène dans des micro-particules en verre spécial ou en métaux rares. Elles seraient progressivement réchauffées par la suite dans l'automobile. Ce système est notamment exploré par le japonais Mazda.

A travers champs

Se tourner vers les biocarburants a l'avantage de ne pas exiger trop de modifications au niveau des moteurs, mais la production est délicate à organiser. Dans le cadre du projet européen Biofit, la France annonce un bilan énergétique très positif pour la production de diester, à partir de colza et de tournesol: une tonne d'équivalent-pétrole pour la culture et la récolte de 2,3 tonnes d'équivalent-pétrole de carburant végétal. On notera que l'administration Bush a sorti sa "National Energy Policy", fixant 10 % de biocarburants pour la consommation totale américaine en 2010. Dans le cas français, environ 6 millions d'hectares seraient à cultiver pour couvrir 25 % des besoins actuels du pays en carburants. L'Hexagone arrive péniblement à 320'000 hectares actuellement.

Dans la pratique, la politique énergétique et la politique agricole européennes resteraient à coordonner, afin d'imposer des surfaces cultivées garantissant un approvisionnement. Cela impose donc une révision du système des terres en jachère, de la répartition des cultures, des choix énergétiques nationaux, sans oublier de tenir compte du cours de l'euro par rapport au dollar et du prix du baril.

Maurice Satineau, Entrprise romande, 08.03.2002