De l'ADN dans les images, sur le Web !

Une équipe française a mis au point une série de logiciels capables de filtrer et de classer les images. Des polices du monde entier sont intéressées, tandis qu'en Suisse ce travail se fait encore manuellement

Ils inventent l'arme absolue contre la pédophilie sur le Net

Ils ont peut-être inventé l'arme contre la pédophilie sur Internet. Dans leurs bureaux modulaires situés en plein coeur du Sentier, le quartier parisien du textile, Chahab Nastar et ingénieurs l'ont mise au point un peu par hasard et certainement pas par philanthropie. « Lors de mes recherches, je ne pensais absolument pas déboucher là-dessus », explique le directeur et fondateur de LTU Technologies. Conçu au départ pour approcher le vieux rêve de l'intelligence artificielle, son système permet à l'ordinateur de comprendre automatiquement la signification des images. La machine sait par exemple , distinguer un paysage, une scène de sport, un portrait, une femme en bikini ou une image pornographique. Elle peut ainsi filtrer des contenus non désirés ou classer automatiquement des banques de données photographiques. Deux marchés très porteurs, s'adressant avant tout aux grandes entreprises.

La lutte contre la pédophilie, elle, est beaucoup moins lucrative. Mais depuis deux ans maintenant les logiciels de LTU sont expérimentés par la police judiciaire française dans le cadre d'un programme européen. Ils permettent de savoir rapidement si une image saisie est déjà connue des services de police, ou encore de trouver des photos similaires, prises dans une même série. Résultat : les enquêtes avancent beaucoup plus rapidement. Le succès est tel que les autorité espagnoles et portugaises utilisent également ce système depuis quelques mois.

Même les Américains ont mis le fierté au placard : l'Administration des douanes  vient de manifester son intérêt à acquérir la technologie française. « Tour s'est accéléré depuis décembre dernier », raconte, visiblement surpris lui-même, Sylvain Dadé, le responsable marketing : en fait, depuis que Ségolène Royal, la ministre déléguée chargée de la Famille et de l'Enfance, a présenté le logiciel de LTU au Congrès mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants de Yokohama

La Suisse sous-équipée

Vendu à 75 000 francs l'unité, les logiciels contre la pédopornographie n'ont pas rapporté des fortunes à LTU, et certainement pas de quoi tenir , car la start-up n'est toujours pas rentable. « Mais cela contribue à notre réputation d'excellence dans le domaine de l'analyse des images », explique Chahab Nastar, laissant sous-entendre que certains de ses investisseurs ont été convaincus grâce à cela. A quoi s'ajoute la fierté de contribuer à la lutte contre la pédophilie.

« Je suis papa de deux enfants, confie-t-il alors qu'il fait la démonstration de son système. « On regarde ces photos le moins possible », acquiesce sylvain Dadé.

Pendant ce temps, en Suisse, on en est encore au traitement « manuel ». Ainsi les quelque 10'000 images pédophiles découverts sur ordinateur d'occasion il y a une quinzaine de jours à Nyon sont en train d'être visionnées une par une. « Seules les photos que nous ne connaissons pas encore seront envoyées à Interpol à Berne, qui les comparera avec une base de donnée située en Suède », explique l'inspecteur Arnold Poot. Le vaudois est le premier en Suisse à s'être spécialisé en matière de pédophilie sur Internet dès 1995, mais il ne connaît pas le système français. « Ici, explique Arnold Poot sur un ton presque fataliste, nous ne disposons que d'un logiciel que la police criminelle allemande nous a fourni gratuitement. » Ce dernier n'offre pourtant pas la même flexibilité que le système de LTU.

On le voit, la Suisse reste sous-équipée, et l'on vient d'apprendre qu'il faudra attendre 2003 pour que la police judiciaire fédérale dispose enfin d'une cellule s'occupant exclusivement de la cybercriminalité. Pourtant, l'enjeu est important : la pédophilie augmente de 10 % chaque année et, selon tous les spécialistes que nous avons contactés, l'offre crée la demande. « Plusieurs individus que j'ai arrêtés m'ont dit qu'Internet avait été un déclic, confirme Arnold Poot. Je n'ai aucune raison de ne pas les croire. » Cela est d'autant plus effrayant qu'un tiers des collectionneurs d'images pédophiles sont déjà passé à l'acte.

Dans ce contexte, le logiciel inventé par Chahab Nastar pourrait être d'une aide redoutable. Car non seulement il permet aux policiers d'avancer plus vite, mais, dans un avenir plus proche, les fournisseurs d'accès Internet pourront l'utiliser pour interdire à leurs abonnés d'accéder à certains sites.

L'ADN des images

Le système de LTU Technologies extrait une sorte de condensé de l'image en se basant sur douze critères, dont les plus compréhensibles sont la forme, la couleur et la texture. A chaque photo correspond ainsi une signature unique, une sorte de « caractère génétique » de l'image, résumé sous la forme d'un vecteur à mille dimensions. Comme les fichiers informatiques sont souvent manipulés (agrandis, recadrés, enregistrés sous des codages différents, etc.), le fait de se baser sur de nombreuses caractéristiques visuelles de l'image permet de retrouver les images identiques ou similaires avec beaucoup de précision.

La force de logiciel de Chahab Nastar est d'avoir appris à l'ordinateur à distinguer à distinguer environ 400 types de scènes en lui montrant notamment des images de référence. Ces scènes (pornographie, dure, paysage, animal sauvage, etc.) sont en fait des champs dans l'espace multidimensionnel des « ADN » des images.

Tiré du matin du 24.2.2002 - Titus Plattner