Crues destructrices - L'EPFL lutte contre les inondations.

Comment lutter contre les inondations qui dévastent l'Europe ? L'EPFL et ses partenaires développent une technique déjà pratiquée par les Égyptiens.

Les inondations dues aux crues exceptionnelles survenues en Suisse depuis 1987 ont mis en évidence les limites des endiguements construits au cours des deux derniers siècles.
Ce constat a incité un groupe de chercheurs du Laboratoire de construction d'hydraulique de l'EPFL et des Écoles d'ingénieurs d'Yverdon, Genève et Fribourg à collaborer au développement de nouveaux concepts de protection. Appelé « Difuse », le projet qui devrait être finalisé dans 3 ans est une première européenne, bien que les recherches romandes puissent à terme intéresser d'autres pays touchés par l'augmentation conjointe de l'urbanisation et de la pluviosité.
« Le projet de recherche que nous avons démarré au début de cette année devrait avoir une portée générale sur la technique qui permet d'inonder certaines zones pour en protéger d'autres », débute Jean-Louis Boillat, adjoint scientifique au Laboratoire de construction d'hydraulique de l'EPFL. L'originalité du projet consiste en effet à gérer des inondations locales sur des zones peu dommageables dans le but de décharger les cours d'eau et ainsi de protéger les territoires (souvent des zones habitées) situés à l'aval. Afin que cette opération puisse être parfaitement contrôlée, le projet s'est fixé comme objectif la mise au point de digues fusibles et submersibles capables de s'autodétruire lorsque cela s'avère nécessaire. « Ce type de solution était déjà pratiquée par les Égyptiens, développe M. Boillat. En effet, l'inondation de certaines zones leur permettait d'en fertiliser les sols tout en protégeant d'autres parties du territoire. »

Choisir les zones inondées.

Le principe développé par le projet « Difuse » est simple : « La digue est équipée d'une partie fusible, c'est-à-dire sa partie supérieure peut s'autodétruire, explique l'adjoint-scientique de l'EPFL. Il est important que la brèche s'ouvre progressivement et pour cela, notre partenaire à l'Ecole d'ingénieurs de Fribourg cherche la technique la plus adéquate. Il existe à l'heure actuelle plusieurs systèmes que nous pourrions utiliser : en particulier celui d'une vanne qui se dégonfle lorsqu'un certain niveau d'eau est atteint ou alors celui d'un système de drains insérés dans le barrage. En recevant l'eau par déversement, les drains produisent une érosion interne et la digue se détruit. »
L'idée d'utiliser la technique de digue fusible a ressurgi suite aux ruptures de barrières aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Allemagne et bien sûr chez nous. « Nous en avons conclu qu'une solution de lutte contre les inondations pourrait être de sélectionner à l'avance des zones à noyer en cas de crue », soulève M. Boillat.
« Difuse » est en phase expérimentale. Mais le projet devrait déjà être terminé d'ici à 3 ans. « Nous espérons bien entendu produire des résultats intermédiaires », poursuit l'adjoint scientifique. Actuellement, l'EPFL se charge d'examiner les problèmes liés au transport de matériaux solides par charriage sur le lit du cours d'eau qui, en s'immobilisant suite à la perte du débit d'eau déversé, peuvent créer des bouchons. « C'est d'ailleurs ce qui s'est produit en 1993 à Brigue, lorsque l'accumulation de sédiments a totalement obturé un pont », note Jean-Louis Boillat.
Les partenaires académiques des lausannois se penchent sur les possibilités d'intégration de l'élément autodestructible pour l'Ecole d'ingénieurs de Genève, tandis que le groupe d'Yverdon a pour objectif d'examiner en détail l'érosion de la digue elle-même sous l'effet du déversement.
« Il faut aussi étudier les mesures d'entretien des digues et de l'élément fusible pour qu'ils soient efficaces durant une centaine d'années, précise M. Boillat. Et, bien évidemment, une attention particulière sera accordée à l'intégration paysagère et environnementale des éléments fusibles. »

Digues fusibles sur le Rhône.

Les digues fusibles vont être utilisées dans le cadre de la 3e correction du Rhône, projet initié en 1995 suite aux crues dévastatrices de 1987 et 1993 en Valais.
Tony Arborino, chef de projet, développe : « La première correction du Rhône s'est effectuée entre 1860 et 1890. La seconde de 1930 à 1960. Mais avec les crues de la dernière décennie, nous avons pris conscience que la sécurité dans la plaine n'est plus assurée par le système en place. »
En effet, le projet de correction du Rhône vise avant tout à mettre à l'abri les plaines sillonnées par le cours d'eau.
« Des premiers travaux prioritaires se poursuivent, depuis 1995, sur le Rhône, explique le chef de projet. Ils ont permis d'éviter le pire lors de la dernière crue, celle de 2000, qui a été mesurée à 1000 m3 d'eau par seconde, grâce à des renforcements de digues ou des élargissements du fleuve. Ce système tiendra compte des fameuses crues centennales, mais également des inondations exceptionnelles qui peuvent survenir n'importe quand. »
Pour la finalisation de la 3e correction du Rhône, d'autres facteurs que la sécurité sont étudiés : « Nous tenons compte de l'environnement ainsi que des aspects socio-économiques, poursuit Tony Arborino. Ainsi, en élargissant le cours d'eau, on peut imaginer que des activités touristiques et sportives pourraient se développer. »
Le système de protection prévoit deux phases : d'un côté le déplacement des digues sur le Rhône, avec espacement entre les barrières. Et de l'autre, la mise en place d'arrière-digues situées entre cours d'eau et les zones d'habitation. « Sur le Rhône, nous installerons des digues fusibles, d'où l'intérêt des études de l'EPFL et de ses partenaires académiques, poursuit le Valaisan. Pour l'instant, le parcours fluvial a été étudié de Brigue à Martigny. Mais le Grand Conseil valaisan nous a demandé d'étendre l'étude jusqu'au Bouveret et à Gletsch. »
Quand verrons-nous le Rhône élargi et les nouvelles barrières installées ?
« Les études avancent en parallèle. D'ici à 5 ans, la solution globale devrait être définie. Il sera alors possible d'exécuter par tronçons les mesures préconisées », conclut Tony Arborino.

Lausanne-cités, 3 mai 2001, Marie-France Martinez