Le projet Swissmetro souffre d'être resté plus suisse qu'européen.

La technologie de l'avion sans ailes répond, si elle s'avère praticable, à des besoins de desserte des grands axes européens. L'Eurometro ne peut plus être confiné dans un cadre suisse.

Au mois de juin, le Conseil national a accepté une nouvelle aide d'un million aux études du projet Swissmetro. Une paille pour un budget fédéral, et même au niveau de l'ensemble des crédits scientifiques. Et pourtant, l'octroi de ce montant, ajouté il est vrai à 5,8 millions déjà alloués, a été contesté par le Zougois Peter Hess, démocrate-chrétien de droite, soutenu par une écologiste saint-galloise et par Christoph Blocher. Les promoteurs de Swissmetro ont néanmoins pu se rassurer en constatant que le crédit a été tout de même octroyé à 2 contre 1.

Rôle de l'Etat.
Cette contestation inattendue montre qu'un débat politique sur ce projet ne devrait pas tarder à s'ouvrir, ce qui en soit n'est pas une mauvaise chose. Mais on voit surtout que l'opposition viendra très vraisemblablement de Zurich, et qu'ainsi les risques d’un arrêt des développements suisses de cette affaire sont réels. Ce n'est pas à l'Etat de développer de nouveaux moyens de transports, mais à l'économie, a professé Christoph Blocher, ajoutant : si les promoteurs ne trouvent pas les moyens financiers nécessaires, c’est que leur projet n'est pas bon.
Absurde, dira-t-on : il suffit de mentionner les NLFA pour comprendre qu'une infrastructure de transports importante ne peut guère faire l'impasse d'un financement public. Va pour Blocher. Mais prêtons l'oreille à une autre remarque : « Si l'avion sans ailes était un concept incontournable, il aurait déjà donné lieu ailleurs à des tentatives de réalisation. » Elle émane du scientifique et conseiller national Jacques Neirynck, dans un livre « Swissmetro, l'avion sans ailes » paru ce printemps aux Editions Favre. Sous forme d'entretiens avec l'ingénieur Rodolphe Niet, qui a lancé l'idée, et avec le professeur EPFL Marcel Jufer, ce bouquin présente le projet Swissmetro et ses enjeux en quelques explications claires.
Jacques Neirynck y évoque aussi un retournement manifeste de l'opinion publique qui, depuis quelques années, se méfie des grandes réalisations technologiques. On ne croit plus que le progrès puisse se faire grâce à la technique, observe-t-il. Comment justifier dans ce contexte d'injecter des milliards dans Swissmetro ? C'est d'autant moins concevable que la Suisse dispose d'un réseau autoroutier presque complet et que les chantiers de modernisation du rail offriront une excellente desserte de transports.
A cette échelle, c'est l'impasse. Jacques Neirynck relève très justement que les tracés envisagés (Genève-St-Gall, Bâle-Chiasso) symbolisent l'enfermement de la Suisse sur elle-même. Et il met en lumière que la logique du schéma Swissmetro oblige à sortir des frontières, en travaillant dès le départ sur des axes tels qu'Amsterdam-Milan ou Lyon-Munich.
Adolf Ogi avait eu le mérite d'être le premier politicien à s'intéresser à Swissmetro. Lui aussi avait rapidement compris que les besoins auxquels cette technologie pourrait répondre se situent à l'échelon européen.

Plans sur la comète.
De son côté, Moritz Leuenberger s’est limité à ne pas enterrer le projet en suggérant que le tronçon pilote relie les aéroports de Bâle et de Zurich, au lieu des villes de Lausanne et Genève; l'idée étant de désengorger Kloten, plutôt que de construire, sous les rives du Léman, une liaison qui entrerait en concurrence avec le chemin de fer.
On ne peut pas dire que l'idée de Leuenberger ait déclenché des enthousiasmes. Même si une étude a été décidée. Par ailleurs, les perspectives évoquées récemment pour le développement de l'aéroport de Payerne, postulent la construction de Swissmetro sur l’axe Genève-Zurich. Mais il ne s'agit guère, pour l'heure, que de gesticulations verbales.
Cela dit, d'autres ont saisi la balle au bond, puisqu'une étude est lancée en vue de relier les aéroports de Lyon-St-Exupéry et Genève-Cointrin.

Synergies Rhôdaniennes.
Les situations de Kloten et de Cointrin ne sont pas exactement symétriques. Genève et Lyon sont mal reliés par le train, si bien que la clientèle potentielle de l'avion sans ailes déborderait plus aisément le cercle des usagers de l'avion que dans le cas de Kloten-Mulhouse. Deuxièmement, un tel projet constituerait un apport important à la dynamique de synergies que d'aucuns souhaitent voir naître entre les régions Léman et Rhône-Alpes.
On sortirait en outre dès le départ, dans ce deuxième cas de figure, d'un cadre étroitement suisse. Mais cela n'implique-t-il pas de procédures de financement trop compliquées dans la mesure où deux Etats sont en cause, voire l'Union européenne ? Il faut cependant penser aux atermoiements auxquels le projet, s'il est exclusivement suisse, est exposé. La charge de l'investissement ne peut paraître que disproportionnée à l'échelle fédérale.
A plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, la question d'un financement européen des transversales alpines s'est posée. Les Chambres fédérales ont décidé unilatéralement que la Suisse assumerait entièrement ce chantier, et l'on peut se demander si cette solution a été la meilleure. Mais dans le cas de l'avion sans ailes, si l'on n'ouvre pas rapidement un débat politique pour un véritable Eurométro, le risque est gros qu'on lui fasse perdre ses dernières chances.

La Liberté - Pierre Kolb, 25.08.2000