Les inventeurs romands ont besoin d'être initiés aux dures réalités de l'économie.

L'Association suisse invention romande (ASIRO) veut aider les inventeurs autodidactes à chercher des marchés
pour leurs trouvailles. Mais le chemin est souvent long et semé d'embûches, comme l'explique le président de l'Association. Narcisse Niclass.

En dépit des rigidités souvent dénoncées de son système politique et économique, la Suisse fourmille de gens qui ont des idées. Elle est le pays qui compte le plus de Prix Nobel par habitant. Mais l'inventivité helvétique se retrouve aussi a un niveau plus modeste. Au début des années 80, on estimait a 600'000 le nombre de brevets déposés par des Suisses, contre 4 millions pour l'ensemble des habitants des Etats-Unis, pourtant beaucoup plus nombreux.

Ces inventions sont souvent le fait de petits inventeurs, plus bricoleurs que scientifiques. L'Association suisse invention romande (ASIRO), fondée en 1987, estime le nombre de ces autodidactes habitant en Suisse romande à 3'000 personnes. Mais pour son président, Narcisse Niclass, "le temps du petit inventeur développant ses trouvailles en solitaire dans son garage est révolu". Il faut aujourd'hui que ceux qui croient avoir eu une idée géniale comprennent les dures lois du marché pour avoir une chance de voir leur produit fabriqué en série. Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus: 1% seulement de toutes les inventions sont intéressantes commercialement, explique Dominique Noir, ingénieur et membre du comité de l'AS-IRO.

- Est-ce que le marasme économique actuel a eu un effet sur les petits inventeurs romands?

Narcisse Niclass: - Notre Association, par exemple, a subi la crise de plein fouet: le nombre de nos membres a baisse de 660 à 200. Certains ont connu des problèmes financiers dramatiques. De nombreux inventeurs ont du renoncer à exposer au Salon des inventions de Genève (ce qui coûte environ 10'000 francs). Avant, certaines entreprises n'hésitaient pas à produire en série, sur un coup de coeur des inventions peu rentables. Aujourd'hui, c'est terminé.

- Que faut-il faire aujourd'hui pour réussir à faire produire son invention en série?

- D'abord comprendre qu'une bonne idée ne suffit pas. Il faut réaliser comment les grandes entreprises attaquent le marché: elles ont besoin que le produit proposé soit déjà prêt à être commercialisé. L'inventeur doit donc se demander si une clientèle existe ou non pour son produit. Seules les inventions qui apportent aux entreprises un avantage sur le marché ont une chance. Notre première mission est donc de ramener à la raison ceux qui se sacrifient pour un objet inutile.

- Par exemple?

- J'ai chez moi le prototype d'une pince a manger les asperges: il va sans dire que, de nos jours, il n'existe pas de marché pour un produit pareil. J'ai aussi défi décourager récemment une dame qui avait invente un jeu de dés pour non-voyants, en lui expliquant que les aveugles sont relativement peu nombreux et que leur premier souci n'est peut-être pas de jouer aux dés. Certaines idées sont moins excentriques, mais peuvent être trop coûteuses. L'inventeur romand d'une seringue utilisable une seule fois - pour éviter la propagation du sida - a dépense 660'000 francs pour la promotion de son invention, en pure perte: son produit était trop cher à fabriquer en série. Ensuite, il a du vendre sa villa.

- Que faites-vous pour rapprocher vos membres des marchés?

- Nous voulons d'abord leur permettre de partager leurs expériences: les inventeurs sont individualistes et croient trop souvent qu'ils sont les premiers à éprouver certaines difficultés. Ensuite, nous les mettons en contact avec ceux que leur invention peut intéresser: nous avons des relations avec Genilem, l'Office fribourgeois de promotion économique, la bourse translémanique. Nous sommes jumelés avec l'Association des inventeurs chinois, ce qui, j'espère, va nous permettre de trouver là-bas des producteurs pour des inventions suisses. Bientôt nous développerons des plans financiers pour nos membres.

- Etes-vous satisfaits de l'écho que votre action rencontre en Suisse?

- Les grandes banques et les grandes entreprises parlent beaucoup d'innovation, mais peu de choses concrètes sont faites pour l'encourager. Ca commence à bouger un peu, nous sentons un intérêt croissant pour notre action. Mais il y a encore une peur de prendre des risques: prenez le tourisme, c'est un secteur important, mais peu innovant. Nous voulons prêcher l'esprit d'invention partout, et aussi dans ce domaine.

Un inventeur hyper-actif et incorrigible !

De lui, on dit volontiers dans le milieu qu'il «survole»: en clair, qu'il n'a pas toujours les pieds sur terre. Vêtu d'une chemise à col bourse sans cravate et d'un pantalon disco gris, le sac Rivella rouge vif en bandoulière et le
Natel toujours à portes de main, Claude Neuenschwander est l'archétype de l'inventeur amateur qui n'a pas peur de passer pour un farfelu. Ancien apprenti en mécanique, il a garde une carrure digne des vingt ans passes sur les
routes comme chauffeur poids lourds. "A cette époque - c'était dans les années 60 - il n'y avait que des priorités de droite. J'ai eu l'idées de faire des ronds-points. J'en ai parlé au TCS, mais ca n'a rien donne. Trente ans après, il y en a partout !"

Depuis, Claude Neuenschwander, qui travaille comme importateur indépendant, n'a jamais été à cours d'idées. Certaines lui ont rapporté de l'argent, comme le brevet d'un système de fermeture des citernes à mazout en cas de débordement, que Shell à racheté pour 6'000 francs. Il vend des systèmes de détartrage et s'apprête à lancer sur le marche, avec un ami ingénier, un modèle "révolutionnaire" d'adoucisseur d'eau baptisé AC-CALC. Mais l'appât du gain ne le motive pas, et ce passionne d'invention est toujours prêt à se lancer dans les projets les moins
réalistes avec un enthousiasme intarissable. Apres deux mois de travail intense, il a abandonné l'élaboration d'une "serrure sans clé" qui permettrait d'ouvrir les portes avec les seules empreintes digitales: "C'était trop complexe, impossible à réaliser. Mais j'ai eu beaucoup de plaisir." Il planche actuellement sur un moteur à aimant qui tournerait sans énergie: "Je ne sais pas si ca marcherait. Ce serait une perte pour l'économie mondiale. Les gouvernements et les trusts automobiles empêcheraient sa commercialisation. Mais ca m'intrigue, et je vais creuser encore." Sa famille a bien tenté de le décourager, en vain. Le scepticisme n'atteint pas cet inventeur prolifique: "Tout m'intéresse: la mécanique, la physique, et même le nucléaire. Ma dernière passion,
c'est l'astronomie. Je suis en pleine forme, je crache le feu et je ne m'arrêterai pas."

Le journal de Genève et Gazette de Lausanne, 11 août 1997