_ No 19 - printemps 2008 Print

La part des Etats Unis dans la pollution planétaire

Les Etats-Unis sont renommés pour leur culte du gigantisme: tours babelliennes, records en tout ou presque, armée surdimensionnée, multinationales géantes, mégalomanie nationaliste, entre autres. Caractéristique reconnue des civilisations décadentes, la tentation de l'enflure en fascine beaucoup dans notre monde superficiel et «déjanté».

En matière de pollution aussi, la première tyrannie planétaire de l'Histoire mérite la palme. Représentant 4 % environ de la population mondiale, les Etats-Unis sont responsables de plus de 25 % de la dégradation de l'environnement. La collusion entre les milieux polluants (industrie, défenseurs du tout-voiture) et la classe politique est d'autant moins à démontrer qu'ils se confondent. Rien de surprenant à cela puisque le cynisme égoïste est inscrit dans les plus anciens écrits de la «démocratie» américaine. Dès le début du XVIIe siècle, les Puritains qui peuplèrent le nord du continent considéraient qu'étant meilleurs, car plus agréables à Dieu que les autres, ils avaient le droit de se comporter différemment.

Ce que Deborah L. Madsen appelle «l'exceptionnalisme américain» est censé justifier tous les débordements qu'un peuple «modèle» est susceptible d'infliger aux autres peuples, lesquels lui sont, par volonté divine, inférieurs.

La plus éclatante expression de ce cynisme égoïste revient au diplomate George Kennan, qui, à la fin des années 1940, posait clairement que les Etats-Unis accaparaient et consommaient, par rapport au total de leurs habitants, une part disproportionnée de la richesse mondiale, mais qu'il n'était pas question de changer quoi que ce soit. Au contraire, établit-il, «notre tâche principale, dans les années à venir, est de mettre en place un système de relations internationales qui nous permette de maintenir ce déséquilibre».

Accaparement et consommation se traduisent aujourd'hui en termes de dégâts irréversibles causés à l'environnement. Depuis le triomphe, chez eux, du capitalisme sauvage, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les Etats-Unis n'ont cessé d'encourager la surproduction qui aboutit au gaspillage gigantesque des ressources que l'on constate tous les jours, à l'épuisement des matières premières, au mythe de la croissance accélérée dans une course incessante au profit et au mieux-être matériel. L'affirmation de George Bush, il y a quelques années, selon laquelle les Américains n'avaient aucunement l'intention d'assainir leur mode de vie et que c'était aux autres de faire des efforts, s'inscrit dans une logique qu'aucun argument de bonne foi ne parviendra jamais à infléchir.

Qui a oublié Eisenhower disant: «Consommez, n'importe quoi, mais consommez!»

Face aux conséquences d'un productivisme plus que centenaire dont on sait que s'il s'étend un jour à l'ensemble des pays en «voie de développement» ou des pays émergents tels que la Chine et l'Inde, les ressources de cinq planètes comme la Terre n'y suffiront pas. Déjà des voix s'élèvent, autorisées et sages, qui prônent une exigeante, frustrante mais indispensable décroissance. Sauf si nous voulons consommer un suicide de la race humaine déjà bien engagé.

Michel Bugnon-Mordant - Professeur, géopolitologue