_ No 16 - printemps 2005 Print

L'effet papillon

Avec le Tsunami, la théorie du chaos naturel va puiser plus loin que "l'effet papillon". Avec un peu de maîtrise et d'imagination on peut tout expliquer sans rien contrôler. Cette formule attrayante, marquante est ludique. Le mérite de cette approche est de -pousser à la réflexion et à l'analyse. Certains chemins peuvent ainsi ouvrir de nouvelles voies. La conclusion apportée par Daniel Mange, dans son texte d'octobre 2000, est belle et tient en un mot merveilleux: la liberté.

Un typhon est déclenché par le vol de votre lépidoptère favori: c'est l'effet papillon, récente trouvaille des mathématiciens pour illustrer la théorie du chaos. Les phénomènes chaotiques sont d'une grande fragilité: extrêmement sensibles aux conditions initiales - le battement d'ailes du papillon -ils peuvent dé-boucher sur des résultats sans pro-portion avec les péripéties de départ, par exemple un ouragan dévastateur.

A côté de la météorologie, la politique est un champ rêvé pour les théories chaotiques. J'en veux pour preuve le scénario suivant, issu de l'une de nos plus récentes machines à voyager dans le temps. 2001: en l'absence de toute menace extérieure, la bataille fait rage à l'intérieur; quelle sera la deuxième langue nationale? Le débat divise la Suisse et attise toutes les passions. Décembre 2002: terrassé par une migraine et excédé par la guerre linguistique, Chrostif Chobler, le leader de l'Union démocratique du milieu, lance sa bombe, une initiative populaire mposant l'allemand comme langue nationale unique. Décembre 2003: l'initiative est acceptée par une nette majorité de la population et des cantons. Vaud d accuse le coup et fourbit sa riposte.

Décembre 2004: la modification constitutionnelle sanctionnant le divorce du canton de Vaud et de la Confédération est acceptée; la majorité des Suisses se sépare sans états d'âme de ce canton indocile et par trop francophone. Le nouvel Etat de Vaud, souverain, ajuste alors son projet de Constitution, toujours en chantier à cette époque. Une Constitution qui, cette fois, a vraiment dû souffler: une véritable politique étrangère, l'Euro comme monnaie, une Compagnie des Chemins de Fer Vaudois, et une assurance maternité digne de ce nom.

Décembre 2005; une écrasante majorité populaire plébiscite le voeu des Autorités vaudoises: entrer dans l'Union européenne et briguer un siège à l'ONU. Avec la sympathie attendrie des membres de l'UE, et grâce au soutien actif de quelques e pays proches et francophones y est accueilli dans le cénacle européens en décembre 2006.

En Helvétie, l'exemple vaudois est un électrochoc. La République de Genève, qui n'a plus de frontière commune avec la Confédération depuis 2004, entre dans l'Union peu après Vaud. Les cantons romands emboîtent le pas aux deux téméraires, suivis du Tessin; les cantons suisses alémaniques succombent à leur tour.

Décembre 2010; dernier acte: le nouvel Etat d'Appenzell Rhodes-Intérieures est accueilli dans l'Union européenne. Les Helvètes y sont alors majoritaires, avec leurs 26 sièges, formant un "Neo Sonderbund" des plus efficaces. Leur influence internationale leur vaut un siège au Conseil de sécurité de l'ONU. La Confédération a vécu; mais elle renaît, transformée et vivifiée, au sein de la plus riche et la plus diversifiée alliance du moment: l'Union européenne.

La migraine de Chrostif Chobler a donc recréé la Suisse et bouleversé l'Europe; tout était logiquement calculable mais, pratiquement, rien n'était prévisible. Trop délicate, trop compliquée pour l'ordinateur, la théorie du chaos nous garantit l'inanité des prévisions et la richesse des scenarios possibles en résumé, la liberté.

Daniel Mange, Professeur d'informatique à l'EPFL