_ No 14 - printemps 2003 Print
Ce n'est pas encore ... arrivé en Suisse !

Et si la philosophie de la joie entrait enfin dans les moeurs?

Une philosophie bien comprise, voulue et désirée par chacun. Non, pas une philosophie basée sur des dogmes, mots d'ordre ou autres discours ineptes. Avec les crapules qui gouvernent le monde, les voleurs qui pillent les entreprises, les mafieux qui affament une partie de la planète, il n'y a apparemment pas de quoi baigner dans la philosophie du bonheur. Mais pourquoi n'essayerons-nous pas? Ne faut-il pas un début à tout? Qui mieux que les inventeurs le savent?

Une philosophie de la joie est toujours confrontée à un sérieux défi. Que vaut le désir de bonheur face à un monde où peuvent régner en maîtres la violence, le fanatisme, la jalousie, la cupidité?

Mais observons mieux la situation et essayons de tenter une percée en Suisse. Entre nous, entre gens de bonne composition qui ne font référence qu'à leur bon sens, leur sens critique et leur conscience. Les théories captieuses des crétins qui nous gouvernent ou qui veulent nous gouverner sont à mettre au rencard.

Si je veux lutter contre la dictature du crétinisme ou pour la santé publique cette lutte ne peut être renforcée par ma servitude éventuelle ou par ma souffrance. C'est le contraire qui est vrai: meilleure sera ma santé mentale et physique, plus aisée sera ma vie et plus efficaces seront mes actions de solidarité. La volonté de me faire souffrir pour exprimer ma solidarité avec ceux qui souffrent serait plutôt du narcissisme et s'apparenterait à un sentiment religieux ou mystique de "sacrifice". En fait, je ne dévoilerais, par ma propre souffrance, que la volonté d'affirmer la noblesse de mes sentiments, l'ampleur de mon dévouement et la pureté de ma conscience. Ce faisant la stérilité de mon action resterait entière. Il faut encore ajouter qu'un tel narcissisme, sous la forme du dolorisme, serait non seulement inefficace, mais encore dangereux. Malade et démuni, je n'aiderais pas les malades et les démunis, mieux : je les maintiendrais dans la maladie, la misère, la souffrance.

A partir de ces considérations il est évident que si je veux lutter contre la souffrance, contre l'injustice, contre l'iniquité ce n'est pas seulement parce que j'ai moi-même l'expérience de la souffrance, c'est aussi parce que, moins démuni ou moins affaibli, je souhaite consacrer ce surplus d'énergie à la libération des autres.

C'est à partir de là que nous aussi trouvons notre satisfaction. Si l'on souhaite une telle solidarité avec autrui et si l'on s'engage dans le combat pour la justice, ce n'est pas en référence à une morale abstraite mais en raison du fait que l'épanouissement de la vie d'autrui et sa joie sont indispensables à mon épanouissement et à ma joie. C'est uniquement la structure de réciprocité qui me motive et non pas le souci d'être vertueux. Cela s'appelle aussi solidarité.

A partir de ces conditions, je vois mieux où est la responsabilité de chacun. Je vois mieux comment chacun osera pousser son cri.

Il doit d'abord comprendre et construire sa propre joie. C'est ensuite seulement qu'il comprendra pourquoi et comment combattre l'injustice. Dans toute cette affaire, qui est le sens même de la politique, c'est le bonheur qui est prioritaire: le mien et celui d'autrui.

Mais c'est avec les crapules, les aigrefins, les profiteurs et autres capitalistes véreux qu'il y a:

ce n'est pas encore arrivé en Suisse...

André Sprenger, journaliste RP