_ No 13 - printemps 2002 Print

Ce n'est pas encore arrivé en Suisse

Ils se faisaient face, les lions, semblablement assis, chacun sur sa marche de part et d'autre du perron donnant accès à un bâtiment qui aurait pu ressembler au Panthéon.

Le lion situé à gauche:

«Ils parlent tous d'Etat providence et ça n'a l'air de gêner personne. Mais ce qui est le plus risible c'est que ce terme ne veut strictement rien dire. Encore une invention de «politichiens». Car en quoi l'Etat serait-il providentiel? Ne sont-ce pas nos impôts, nos taxes, nos contributions qui alimentent les caisses des communes, des cantons, de la Confédération? Ces sommes astronomiques sont destinées à faire fonctionner l'Etat. Ces montants considérables, parfois spoliés aux petits, aux humbles, à la masse sont justement destinés aux tâches que l'Etat doit assumer: la formation, la santé, l'instruction, les transports publics par exemple. Cet argent n'est pas destiné à remplir les poches de quelques politiciens véreux et de quelques mafieux helvétiques. Alors comment cela peut-il se faire que certains ne veulent plus de cet Etat providence? Comment est-ce possible que l'on entende seriner ce refrain presque quotidiennement? Qui plus est ces mêmes «politicallions» osent affirmer que l'Etat n'a plus d'argent, que les caisses sont vides. Si tel était réellement le cas ce serait grave puisque ce serait ces «politicards» qui se rempliraient les poches?

Le lion de droite:

«C'est normal pour ceux qui ont inventé l'expression puisqu'elle ne veut rien dire. Mais les autres, l'immense majorité, elle devrait se révolter. L'argent n'a jamais été aussi pléthorique. Bien sûr il n'y a qu'une poignée qui s'engraisse pendant que la majorité subit. Cette majorité qui mange les miettes tombées de la table.»

Et le lion de gauche de poursuivre:

«Oui mais ne sommes-nous pas dans un état démocratique. N'est-ce pas au peuple que revient toujours le dernier mot.» Le lion de droite rugissant: «mais le peuple, le peuple il n'est qu'un pantin que l'on manipule. Il est capable, à tout le moins une partie de celui-ci, de se voter des impôts sans coup férir. Le peuple s'esbaubit devant les politiciens menteurs qui lui assènent des discours tous plus indigestes les uns que les autres. As-tu ouï un discours du 1er août? D'une banalité et d'une nullité consternantes, mis à part une infime minorité. Des politiciens qui se sentent investis d'on ne sait quel pouvoir. Seul un dieu, à condition d'exister, peut se prévaloir d'un rôle providentiel envers sa création. Mais le peuple n'est ni la création d'un dieu, ni la création de l'Etat. C'est même tout le contraire. L'Etat est la création du peuple. Il n'a pas été envoyé sur terre par une divinité pour gouverner les hommes. L'Etat démocratique est une création des citoyens, inspiré par des penseurs amis du peuple. Et derrière une partie de ces politiciens de pacotille qu'y a-t-il? Les accapareurs de tout, les capitalistes ventripotents qui dénigrent, condamnent cet Etat dispendieux, social comme si celui-ci n'était pas l'œuvre du peuple, fondamentale et porteuse de lendemains transcendants, mais qu'ils'agissait d'une vieille pendule héritée, hideuse, détraquée et juste bonne à mettre au rebut.»

Le lion de droite de reprendre la parole:

«Mais alors ce qui m'intrigue c'est de savoir quel but poursuivent ceux que vous nommez les accapareurs de tout, les gloutons marchands. Que feront-ils une fois devenus les maîtres d'un monde constellé de ronds-points desservant des entrepôts inondés, monde banalisé, hanté par une population homogénéisée, continuellement transvasée d'autoroutes en tuyaux télé par des échangeurs entonnoirs? En quels lieux idylliques rêvent-ils de couler des jours gorgés de plaisirs raffinés, eux qui n'ont que le goût de l'accaparement, de l'accumulation?»

Le lion de gauche de rester dubitatif et pensif...

Puis subitement il se dressa sur ses pattes arrières et dit: «La solution se trouve dans le peuple. Si celui-ci veut bien se reprendre, réagir, tout n'est pas perdu. S'il reprend conscience que c'est lui et lui seul qui est maître de son destin et s'il refuse d'ingurgiter la soupe que lui propose les accapareurs, alors il pourra revivre dans une société normale. Et là, vois-tu mon cher ami je suis confiant car une majorité de la jeunesse est saine et elle refusera de se plier aux ordres de ces prédateurs. Elle écoutera Camus qui a dit: «je me révolte, donc je suis.»

André Sprenger