_ No 9 - printemps 1998 Print

GRAVE MUTILATION DE LA RECHERCHE BIOMEDICALE EN SUISSE?

Le 7 juin nous serons appelés à voter sur l’initiative «pour la protection génétique». Cette initiative est dangereuse parce qu’elle prête à confusion. Beaucoup de citoyens ne veulent pas que leur nourriture soit modifiée génétiquement. Or il faut qu'ils sachent que par l'acceptation de l'initiative, les plantes génétiquement modifiées comme le maïs et le soja ne seront pas interdites mais que, par contre, la recherche médicale sera très gravement entravée.

La recherche en biologie et en médecine a fait de très grands progrès pendant les 20 dernières années, progrès en grande partie dus au génie génétique. C'est une nouvelle technique qui permet d'isoler et d'analyser des gènes et de les transplanter dans un autre organisme. Un gène est un fragment d'ADN qui contient l'information pour un trait héréditaire comme par exemple la couleur des yeux, de la peau, des cheveux.

Le génie génétique a permis de produire des vaccins nouveaux comme celui contre l'hépatite B, ainsi que des médicaments extrêmement efficaces. Il permet la production d'insuline, indispensable pour des centaines de milliers de diabétiques dans le monde (30'000 en Suisse).

Il existe plusieurs milliers de maladies héréditaires de l'homme, chacune causée par la modification accidentelle et naturelle d'un gène. Par les techniques du génie génétique, on peut accéder aux gènes des cellules malades et effectuer des analyses dans le but d'améliorer les traitements. Des maladies fréquentes comme les cancers et certains cas de la maladie d'Alzheimer sont également causées par des modifications de gènes.

Pour l'étude de ces maladies, nous travaillons avec des souris transgéniques. C'est-à-dire que nous modifions un gène déterminé. le transférons et en observons les effets. Certains gènes ont une fonction protectrice contre l'apparition de cancers. Cela peut être démontré en inactivant un tel gène dans une souche de souris. Il en résulte que ces souris auront une fréquence de cancers fortement augmentée par rapport aux souris non modifiées. Comme les gènes des souris sont pour la plupart très semblables à ceux de l'homme, nous pouvons apprendre quelque chose sur la fonction du gène humain correspondant.

La recherche biomédicale effectuée en Suisse est excellente et elle est reconnue mondialement. Plus d'une centaine de laboratoires sont actifs dans ce domaine, dans les universités et dans des instituts de recherche parauniversitaires. Or, si l'initiative «pour la protection génétique» est acceptée, les animaux transgéniques seront interdits en Suisse, sans exception possible. Tous les chercheurs qui travaillent avec des animaux transgéniques devront interrompre leurs expériences. Les longues années de leur formation et les moyens considérables investis dans leurs laboratoires seront perdus. S'ils veulent continuer leur travail, ils devront quitter la Suisse.

Ils devront quitter la Suisse
Aucun argument n'a été avancé pour justifier l'interdiction des animaux transgéniques. Une grande partie des progrès en génétique a été obtenue par des travaux sur la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster). Les mouches transgéniques seraient aussi interdites par l'initiative. Quelle pourrait être la raison de cette mesure ? Selon les initiants, ce serait pour préserver la dignité des êtres vivants.

Le génie génétique, comme chaque technique nouvelle, comporte des risques. Ces risques doivent être étudiés sérieusement et des mesures doivent être prises pour éviter les dangers. Cette démarche a déjà été faite en grande partie et le processus se poursuit. A ce jour et à notre connaissance, aucun accident grave provoqué par le génie génétique n'est arrivé. Les avantages du génie génétique, par contre, sont déjà là et bien visibles. Son potentiel pour le progrès de la médecine est énorme.

Si la Suisse veut maintenir sa position parmi les pays développés, elle doit investir dans la recherche. Elle a investi avec succès dans la recherche biomédicale et dans le génie génétique. L'acceptation de l'initiative du 7 juin aurait l'effet d'une automutilation.

Mars 1998 - Bernhard Hirt
Chercheur à l'Institut Suisse de Recherches Expérimentales sur le Cancer
Professeur à l'Université de Lausanne