_ No 8 - printemps 1997 Print
INVENTEUR, MODE D'EMPLOI

Ces quelques réflexions sauront, je l'espère, attirer l'attention de l'inventeur sur certains risques de son état.

1- Inventeur, pourquoi ?
Que l'on naisse inventeur ou qu'on le devienne fortuitement, la question doit être posée: inventeur, pourquoi? La réponse n'a, somme toute, qu'une importance secondaire. L'essentiel est de se la poser, un inventeur averti en vaut deux. L'inventeur indépendant saisit tôt ou tard le sens de la question. Quant à l'inventeur employé, il ne fait pas exception; c'est alors à son employeur de se poser la question, ce qu'il ne manque pas de faire régulièrement. Et la réponse sera, systématiquement: pour gagner de l'argent. Pas d'accord? C'est que vous êtes un philanthrope, ou un inconscient; mon article ne vous concerne pas.

Etant admis que vous cherchez à gagner de l'argent, il, faut commencer par ne pas en perdre et gérer votre invention en conséquence. Pour de nombreux inventeurs, le dépôt d'une demande de brevet constitue une fin en soi, alors qu'il ne s'agit que d'un moyen. Un moyen qui a la fâcheuse tendance d'occulter d'autres problèmes éminemment plus importants.

2- La clause du besoin
Une invention doit correspondre à un besoin, manifeste ou latent. Tout l'art consiste à identifier ce besoin, à l'anticiper et, pourquoi pas, à le créer, à l'instar de M. Rubik, père du cube auquel il a donné son nom. Sans oublier que plus un besoin est pressant, plus les solutions proposées pour le satisfaire sont nombreuses; entre inventeurs, la concurrence est rude!

J'ai inventé un procédé ou un dispositif nouveau, correspondant à un besoin manifeste. Avant de me préoccuper de sa protection, je dois répondre à une série de questions relatives à sa fabrication et à sa commercialisation.

Des questions que je refuse souvent de me poser, consciemment ou non, parce qu'elles me mettent en face de la dure réalité des choses. Inventeur indépendant, ne disposant ni de chaînes de fabrication, ni de réseaux de vente, je suis tout naturellement amené à m'approcher de société fabricant et/ou commercialisant le même type de produit en vue de leur céder mon brevet ou des droits de licence. Mon parcours, objet possible d'un nouveau "jeu de l'oie", peut suivre différents scénarii

4- Maîtrise de la nouveauté
Le risque que mon idée ne soit pas originale est grand, très grand. Une recherche d'antériorité courante pourra certes révéler des dispositifs analogues ayant fait l'objet d'une protection. Elle ne dira en revanche rien de dispositifs imaginés à Florence du temps des Médicis ou par les Dayaks de Bornéo (qui allument leur feu à l'aide d'un briquet à compression d'air) et qui sont dans le domaine public. Je ne parle pas ici de nouvelles technologies, de laser, de déposition chimique/physique de vapeur ou de micro-électronique, mais de simples, ceux-là précisément qui tentent les inventeurs indépendants.

5- Maîtrise des délais et des coûts
Le dépôt d'une demande de brevet ne pose pas de problèmes majeurs pour l'inventeur; il jouit d'une protection initiale et locale, qui doit être entretenue et, le cas échéant, étendue à d'autres pays dans un délais d'une année; en effet, du fait de l'étroitesse du marché suisse, une protection nationale est souvent insuffisante. Les frais correspondants, initialement modiques, augmentent rapidement.

Par ailleurs, la négociation de brevets ou de droits de licence est une démarche longue et difficile. Dans ces conditions, l'inventeur a tout avantage à attendre le plus longtemps possible avant le déclenchement de chronomètre que constitue le dépôt de sa demande de brevet. Il peut toujours, si nécessaire, négocier avec des clients potentiels sur la base d'un accord de confidentialité.

Dominique Noir